La recherche en didactique des langues en France : Manifeste pour le XXIe siècle
Il est devenu banal de signaler que sous les effets conjoints de la mondialisation de l’économie, de la mise en place de l’espace européen, du développement des communications, et, par conséquent, de la multiplication des échanges de tous ordres, la maîtrise des langues étrangères constituera de plus en plus un besoin social impérieux pour l’homme et la femme du XXIe siècle.
Ceci exige un essor considérable de l’offre linguistique éducative, fondamentalement dans deux sens :
- Celui de l’intensification, pour accroître le nombre de locuteurs de langues étrangères et élever leur degré de compétence ;
- Celui de la diversification, pour conserver, et si possible développer, l’éventail des idiomes pratiqués dans le monde ainsi que la pluralité de leurs usages.
Il faudra, en particulier, intégrer dans les réflexions à mener des paramètres déjà identifiés mais dont l’importance s’avère désormais cruciale : - Celui de l’âge : la période de l’enseignement traditionnel correspondant à la scolarité tend à se prolonger par les deux extrémités en direction du public adulte ou enfantin ;
- Celui de la spécificité des publics et des objectifs : des approches plus réalistes se développent qui prennent leurs distances par rapport à l’idéal du locuteur bilingue et s’intéressent de plus en plus à des compétences partielles plus ciblées, adaptées à des usages fonctionnels des langues ;
- Celui de la complexité des situations d’apprentissage : les situations migratoires, l’enseignement des langues minoritaires et, d’une manière générale, les contextes plurilingues de tous ordres exigent une redéfinition des contenus et des stratégies ;
- Celui de la montée en puissance des techniques d’information et de communication qui imposent peu à peu un réaménagement des schémas classiques d’enseignement.
S’ajoute à tout cela, dans le paysage éducatif français, la mise en place des IUFM qui incitent à un renouvellement de la réflexion sur les contenus et les modalités de la formation des enseignants.
Cette évolution est déjà largement visible à travers l’émergence actuelle de nombreuses innovations curriculaires et méthodologiques (développement des langues à l’école élémentaire, intégration des langues étrangères dans l’enseignement des disciplines non linguistiques, recours aux nouvelles technologies). Il apparaît donc particulièrement opportun de renforcer la réflexion d’ordre didactique. Par didactique, nous entendons l’approche scientifique des processus d’enseignement et d’apprentissage des langues envisagés dans la diversité de leurs contextes. Cette approche se donne pour but et pour fonction sociale d’éclairer les partenaires impliqués dans l’acte éducatif sur les différentes stratégies possibles et sur les effets potentiels qu’ils sont en droit d’en attendre, de façon à rendre plus aisée leur prise de décision.
Force est de constater que le contexte actuel n’est pas totalement favorable à la mise en œuvre d’une telle perspective, en effet :
- les acteurs susceptibles de la prendre en charge ont rarement un statut stable et ne peuvent guère espérer se prévaloir de recherches dans ce domaine pour construire une carrière universitaire ;
- Les moyens matériels de la recherche sont aléatoires et dépendent de sources conjoncturelles (appels d’offres, conventions, programmes européens etc…) ;
- les instances décisionnelles ne tirent pas tout le parti possible du potentiel de la recherche en didactique et des ses apports ;
- le décalage reste considérable entre l’univers de la recherche et celui de la conduite de classe au quotidien ;
- Les didacticiens demeurent encore trop enfermés dans les limites d’une seule langue, considérée comme leur unique objet de recherche.
On perçoit dès lors les conditions qui devraient être réunies pour favoriser le développement des recherches dans le domaine concerné. Il s’agit d’abord d’être au clair sur l’état actuel de la recherche en didactique, c’est-à-dire :
- Sur son positionnement théorique par rapport aux contributions scientifiques de référence, lesquels peuvent relever non seulement des sciences du langage mais aussi d’autres sciences aussi diverses que la sociologie, la psychologie de l’apprentissage, l’anthropologie culturelle, l’économie de l’éducation ou l’éthique ;
- Sur ses propres outils épistémologiques, choisis en fonction tout à la fois des finalités assignées à la recherche et des retombées de celle-ci au niveau des conduites pédagogiques ;
- Sur le type de relation avec le terrain de formation.
L’adhésion aux considérations ci-dessus ne conduit pas à une « pensée unique » dans les domaines concernés : le champ de la didactique doit pouvoir être parcouru par une diversité d’itinéraires de recherche qui en constitue précisément la richesse. Dans cette perspective, il est primordial, que soient multipliés les rencontres et les échanges entre spécialistes de langues et de contextes différents afin de consolider les fondements d’une didactique des langues.